Le parcours de la docteure Maude Abbott, pionnière de la cardiologie, n’a pas Ă©tĂ© des plus faciles. NĂ©e en 1869 Ă St.ĚýAndrĂ© Est, au QuĂ©bec, elle a sept mois lorsque sa mère meurt de la tuberculose. Peu de temps après, son père abandonne le domicile familial et elle est recueillie par sa grand-mère. ĚýMaude Abbott est une excellente Ă©lève mais les ressources limitĂ©es de sa grand-mère et le peu d’égard de la sociĂ©tĂ© pour les ambitions fĂ©minines compromettent ses chances de faire des Ă©tudes supĂ©rieures. «ĚýL’un de mes rĂŞves, que je trouvais bien Ă©goĂŻste, Ă©tait d’aller Ă l’écoleĚý», Ă©crit-elle dans son journal intime Ă l’âge de 15Ěýans. «ĚýOh, penser Ă©tudier avec des filles de mon âge! Penser que cela ne dĂ©pendait que de moi de poursuivre ou non et que j’avais tous les avantages auxquels j’avais toujours aspirĂ©.Ěý»
Fort heureusement, son assiduitĂ© porte fruit car elle obtient une bourse pour Ă©tudier les arts Ă Â鶹AV, deux ans après que l’UniversitĂ© a commencĂ© Ă admettre des femmes dans ses rangs. Maude Abbott s’épanouit, est première de sa promotion, prononce le discours d’adieu et dĂ©croche son diplĂ´me et la prestigieuse MĂ©daille d’or de Lord Stanley.
Maude Abbott souhaite devenir mĂ©decin et faire ses Ă©tudes de mĂ©decine Ă Â鶹AV. Mais la FacultĂ© de mĂ©decine de l’UniversitĂ© n’est pas mixte et malgrĂ© ses insistances, sa candidature est sèchement refusĂ©e. Elle est finalement admise Ă l’UniversitĂ© Bishop, près Lennoxville, alors plus progressiste. Ses Ă©tudes de mĂ©decine se rĂ©vèlent une expĂ©rience douce-amère. «ĚýC’était très durĚý», se souvient-elle plus tard. «ĚýLoin de mon universitĂ© bien-aimĂ©e, entourĂ©e d’étudiants grossiers qui semblaient avoir Ă mes yeux des critères bien infĂ©rieurs Ă ceux des Ă©tudiants aux cĂ´tĂ©s desquels j’avais travaillĂ© [Ă Â鶹AV] par pur amour du travail, je devais me battre, comme seuls les Ă©tudiants de première annĂ©e en mĂ©decine se battent, avec les notions d’anatomie — ce fut particulièrement difficile.Ěý» Mais Maude Abbott persĂ©vère et obtient son doctorat en mĂ©decine ainsi que le premier Prix d’anatomie et le Prix du Chancelier en 1894.
Après des Ă©tudes postdoctorales en Europe, Maude Abbott revient Ă MontrĂ©al en 1877. Elle ouvre un cabinet rue Mansfield et commence Ă se faire un nom au sein de la communautĂ© mĂ©dicale. Son article sur les murmures cardiaques fonctionnels convainc la SociĂ©tĂ© mĂ©dico-chirurgicale de MontrĂ©al de prendre une dĂ©cision sans prĂ©cĂ©dent et de l’admettre dans ses rangs. Un autre article, sur une femme souffrant de cirrhose avec pigmentation cutanĂ©e, impressionne tellement George Adami, alors directeur du DĂ©partement de pathologie de Â鶹AV, qu’il recrute Maude Abbott comme conservatrice adjointe du MusĂ©e de la mĂ©decine de Â鶹AV.Ěý
MĂŞme si la musĂ©ologie n’est pas sa vocation première, Maude Abbott est encouragĂ©e par les conseils de William Osler, qu’elle rencontre Ă l’occasion d’une formation Ă Washington, D.C. Le cĂ©lèbre pathologiste lui conseille en effet de ne pas se laisser dĂ©courager par les aspects fastidieux de son travail et de saisir l’occasion splendide de faire des choses merveilleuses. Et c’est prĂ©cisĂ©ment ce qu’elle fait. Si l’enseignement ne fait pas partie de ses tâches au musĂ©e, elle ne peut s’empĂŞcher de partager sa connaissance des collections du musĂ©e. En 1904, ses dĂ©monstrations informelles ont tellement de succès parmi les Ă©tudiants de mĂ©decine qu’elles sont officiellement intĂ©grĂ©es au programme d’études. En 1910, huit ans encore avant que Â鶹AV ne se dĂ©cide enfin Ă admettre des femmes en mĂ©decine, l’UniversitĂ© lui dĂ©cerne un doctorat en mĂ©decine honoris causa et baptise un cycle de confĂ©rences Ă son nom au DĂ©partement de pathologie.
ĚýLe musĂ©e se rĂ©vèle Ă©galement un prĂ©cieux outilĚý pour Maude Abbott. Ă€ l’époque, la plupart des cliniciens ne s’intĂ©ressent pas Ă l’anatomie cardiaque et au diagnostic des anomalies cardiaques congĂ©nitales. Elle se fascine pour un spĂ©cimen datant du dĂ©but des annĂ©es 1800Ěý: un cĹ“ur privĂ© de cloison interventriculaire. Sa passion pour le «ĚýcĹ“ur de HolmesĚý» (du nom du premier doyen de la FacultĂ© de mĂ©decine de Â鶹AV) est telle et sa formation d’autodidacte sur les anomalies cardiaques si approfondie que William Osler lui demande très rapidement d’écrire un chapitre pour son System of Medicine. Ce dernier impressionne profondĂ©ment Osler — «ĚýC’est de loin le meilleur chapitre jamais Ă©crit sur ce sujetĚý», s’émerveille-t-il — et donne le coup d’envoi Ă ce qui allait devenir l’œuvre de toute sa vie.Ěý
Au cours des 20ĚýannĂ©es qui suivent, Maude Abbott approfondit ses recherches et rĂ©dige des notices sur près de 1Ěý000 anomalies cardiaques. Enfin, en 1936, elle publie son . Cet ouvrage a permis aux cardiologues de prendre des mesures sans prĂ©cĂ©dent pour corriger certaines anomalies congĂ©nitales. L’Atlas a ouvert la voie Ă la chirurgie cardiaque moderne en accĂ©lĂ©rant les progrès dans le domaine du diagnostic, de la physiologie et de la chirurgie. Cet ouvrage a fait de Maude Abbott une sommitĂ© de la mĂ©decine et lui a mĂŞme valu d’être reprĂ©sentĂ©e sur une fresque murale de Diego Rivera Ă l’Institut de cardiologie de Mexico.
De 1924 jusqu’à sa retraite en 1936, Maude Abbott est professeure adjointe Ă la FacultĂ© de mĂ©decine. Lorsqu’elle prend sa retraite, l’UniversitĂ© lui dĂ©cerne un deuxième doctorat honoris causa en hommage Ă sa carrière «Ěýde professeure, de chercheuse infatigable et d’avocate de l’enseignement supĂ©rieurĚý». En 1994, elle entre au Temple de la renommĂ©e mĂ©dicale canadienne, un honneur amplement mĂ©ritĂ© pour un mĂ©decin qui a consacrĂ© sa carrière non seulement Ă faire avancer la mĂ©decine mais Ă se battre pour les droits des femmes.Ěý