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Journée nationale de la vérité et de la réconciliation: Le devoir de mémoire

Enfant, j’ai vécu à Sept-Îles, territoire traditionnel innu. Au début des années 1970, ma sœur et moi y étions les deux seuls enfants noirs : les filles du professeur Thermitus. Nous étions acceptées par les enfants blancs, alors que les enfants autochtones étaient rejetés, discriminés. Les Indiens, comme on les appelait à l’époque, formaient un groupe stigmatisé alors que nous, les petites Noires, puisque nous n’étions que deux, n’étions pas menaçantes : des fillettes charmantes, « exotiques ». Quelle injustice ! C’est ainsi que j’ai pris connaissance des effets de la différence de traitement.

Je me souviens aussi du traitement des enfants autochtones par les professeures. Dans les salles à aires ouvertes de l’école, nous étions environ 60 élèves pour quatre institutrices. Comment pouvait-on penser que des enfants puissent apprendre dans un tel contexte ? Imaginez apprendre à lire et à écrire à 8 ans dans un tel environnement.

Dans la classe, il y avait des enfants autochtones, certains étaient particulièrement dissipés. Alors qu’ils auraient eu besoin d’une attention particulière des professeures, celles-ci nous demandaient de les ignorer, car ils ne faisaient que retarder le groupe. Cela m’a marquée. Quelque chose clochait.

Aujourd’hui, j’ai le vocabulaire pour définir ce comportement : du racisme systémique, qui a eu des conséquences dramatiques sur des populations qui étaient déjà vulnérables, car affaiblies par les politiques coloniales.

Cette négligence institutionnelle a laissé des traces chez les Autochtones dont le taux de scolarisation était très faible ainsi que dans ma tête d’enfant, traces qui se sont mutées en quête de justice sociale.

J’ignorais alors que le pensionnat indien de Maliotenam, le pensionnat de Notre-Dame, avait fermé ses portes en 1970. Rien pour améliorer les choses.

Phil Fontaine, le pionnier

Phil Fontaine
Phil Fontaine en 2010. PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Cette commission n’aurait pas vu le jour sans l’engagement indéfectible de Phil Fontaine, chef national de l’Assemblée des Premières Nations.

Au moment de la signature de l’entente politique intervenue entre l’Assemblée des Premières Nations et le gouvernement de Paul Martin en 2015, il a veillé à ce qu’elle prépare la voie non seulement aux excuses du gouvernement du Canada, mais aussi à la Commission vérité et réconciliation.

L’engagement de Phil Fontaine est un engagement qui chevauche deux siècles. En octobre 1990, lors d’une entrevue donnée à la CBC, Phil Fontaine, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Manitoba, a été la première personnalité publique à lever publiquement le voile sur les sévices physiques, psychologiques et sexuels subis par les enfants autochtones dans les pensionnats pour Autochtones. Il demandait alors qu’une enquête publique sur les pensionnats pour Autochtones soit tenue. Cette expérience a fait de lui un catalyseur de changement pour les Autochtones.

Il a « alchimisé » son tragique passage aux pensionnats en étant au cœur du changement des relations entre les Canadiens et les peuples autochtones.

En 1991, le gouvernement fédéral a créé la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones présidée par l’ex-chef national de l’Assemblée de Premières Nations, Georges Erasmus, et par le juge de la Cour d’appel du Québec, René Dussault.

En 2000, la Commission du droit du Canada, présidée alors par le professeur de droit de l’Université Â鶹AV Roderick A. MacDonald, s’est penchée sur la réparation des sévices infligés aux enfants dans des établissements canadiens en consacrant un chapitre sur les pensionnats pour Autochtones.

Au début des années 2000, dans le cadre des recours déposés par les anciens pensionnaires, le chef national Fontaine a mis tout son poids politique afin que voie le jour la Commission de vérité et de réconciliation, première dans un pays qui n’était pas la proie de conflits ouverts. Pour lui, la Commission devait être l’héritage durable de l’expérience des pensionnats par les Autochtones.

Cette commission permettrait d’écrire le chapitre manquant de l’histoire du Canada pour tenir compte de toute sa complexité et en donnant la place aux narrations des vaincus, des victimes.

Bien que cette déconstruction puisse en déstabiliser certains, son objectif, dans un cadre démocratique, est de créer un terreau plus fertile à la justice.

On comprend pourquoi cette commission est cruciale afin de reconnaître le sombre chapitre de l’histoire du Canada que sont les pensionnats indiens issus d’une politique génocidaire. Cette commission est capitale pour que les Canadiens puissent bâtir une véritable relation avec les peuples autochtones.

Les excuses de l’Église

En 2009, le pape Benoît XVI a souligné à une délégation menée par le chef national Fontaine qu’il était désolé pour les sévices qui avaient eu lieu dans les pensionnats pour Autochtones gérés par l’Église catholique.

Le 24 septembre 2021, la Conférence des évêques catholiques du Canada s’est finalement excusée pour les sévices « physiques, psychologiques, émotionnels, spirituels, culturels et sexuels » et elle a reconnu le « traumatisme historique et continu ». Ces excuses répondent à la demande d’imputabilité de M. Fontaine faite en 1990, lors de son entrevue à la CBC, alors qu’il soulignait que les sévices sexuels qu’il avait subis émanaient de la personne ayant la plus grande autorité morale dans la communauté, ce qui a eu pour conséquence une absence totale de responsabilité.

Alors que je négociais les termes de la Commission de vérité et réconciliation, j’ai constaté que cette absence de responsabilité se manifestait notamment par le transfert de nombreux prêtres de diocèse en diocèse, afin de protéger tant l’institution qu’est l’Église que les prêtres agresseurs, laissant à eux-mêmes des enfants, les personnes les plus vulnérables de la société.

Avec le recul, je ne peux que constater la persévérance de ce grand leader autochtone qu’est Phil Fontaine. Il a ouvert le chemin de la réconciliation. Chemin qui nécessite des changements structurels, la reconnaissance tant de notre passé colonial que du racisme systémique. La réconciliation demande un changement dans les relations, dont l’obligation de consulter les peuples autochtones. Elle demande des changements législatifs, le recours à la justice réparatrice et à la justice thérapeutique. Elle exige la reconnaissance des traitements inéquitables et le partage tant du territoire que des richesses.

Aujourd’hui, je constate le chemin parcouru afin que les Canadiens soient conscients de l’héritage laissé par les pensionnats pour Autochtones, héritage qui commence à être reconnu, mais qui reste à être compris dans ses nombreuses ramifications. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si l’expérience scolaire d’une Autochtone a véritablement changé.

Cette lettre a dans Le Devoir, le 30 septembre 2021.


Tamara Thermitus Ad. E. (LLM'13) est une avocate montréalaise qui se spécialise dans les droits de la personne et l'antiracisme.

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