Des sédiments d’un lac vieux de plus d’un milliard d’années nous éclairent sur l’ancienne biosphère terrestre
Un Ă©chantillon d’oxygène ancien, extrait de sĂ©diments datant de 1,4 milliard d’annĂ©es qui ont Ă©tĂ© prĂ©levĂ©s dans un lac assĂ©chĂ© de l’Ontario, apporte des Ă©lĂ©ments nouveaux sur la composition de l’atmosphère et de la biosphère durant la pĂ©riode ayant prĂ©cĂ©dĂ© l’émergence de la vie animale.Â
Cette découverte, publiée dans la revue Nature, constitue la plus ancienne mesure d’isotopes de l’oxygène atmosphérique, par près d’un milliard d’années. Ces résultats viennent étayer les recherches antérieures indiquant que le taux d’oxygène dans l’air à cette période de l’histoire de la Terre ne représentait qu’une infime fraction de ce qu’il est aujourd’hui, étant donné qu’à cette époque, la biosphère était très peu productive.
« Depuis des dizaines d’annĂ©es, la recherche nous portait Ă croire que la composition de l’atmosphère avait variĂ© de manière significative au fil des âges », mentionne Peter Crockford, qui a dirigĂ© l’étude Ă titre de doctorant Ă l’UniversitĂ©Â Â鶹AV. « Nous venons d’établir hors de tout doute que l’atmosphère Ă©tait en effet bien diffĂ©rente il y a 1,4 milliard d’annĂ©es. »
L’étude fournit aux spécialistes des sciences de la Terre la plus ancienne mesure à ce jour de productivité primaire, qui correspond à la production de matière organique par les micro-organismes à la base de la chaîne alimentaire – algues, cyanobactérie et autres du même genre –, qu’ils fabriquent par la transformation du dioxyde de carbone, ce qui a également pour effet d’enrichir l’air en oxygène.
Une biosphère plus modeste
« Cette Ă©tude rĂ©vèle qu’il y a 1,4 milliard d’annĂ©es, la productivitĂ© primaire Ă©tait beaucoup moins grande qu’à notre ère », indique Boswell Wing, coauteur principal de l’étude, qui a collaborĂ© Ă la supervision des travaux de Peter Crockford Ă l’UniversitĂ©Â Â鶹AV. « La biosphère terrestre Ă©tait donc forcĂ©ment moins riche Ă cette Ă©poque, ne produisant pas suffisamment de nourriture – le carbone organique – pour soutenir une vie macroscopique complexe », prĂ©cise le Pr Wing, professeur agrĂ©gĂ© en sciences gĂ©ologiques Ă l’UniversitĂ© du Colorado Ă Boulder.
Le Pr Crockford a obtenu ces résultats en collaboration avec des confrères de l’Université Yale, de l’Université de Californie à Riverside et de l’Université Lakehead, à Thunder Bay, en Ontario, qui avaient recueilli des échantillons intacts d’anciens sels, des sulfates, dans une formation rocheuse sédimentaire au nord du lac Supérieur. Le chercheur a ensuite acheminé les échantillons à l’Université d’État de Louisiane, où il a travaillé étroitement avec les coauteurs de l’étude Huiming Bao, Justin Hayles et Yongbo Peng, dont le laboratoire est l’un des seuls au monde à employer une technique de spectrométrie de masse spécialisée capable de déceler dans ce type de matière la présence d’isotopes de l’oxygène rares à l’intérieur de sulfates.
Ces travaux jettent également un nouvel éclairage sur une période de l’histoire de la Terre communément appelée le « milliard d’années ennuyeux », où la planète semblait soumise à bien peu de changements sur le plan biologique et environnemental.
« On a longtemps prĂ©sumĂ© que la productivitĂ© primaire Ă©tait faible vers le milieu du ProtĂ©rozoĂŻque – il y a plus de 2 milliards Ă 800 millions d’annĂ©es environ –, mais on ne disposait pas de donnĂ©es probantes pour soutenir cette hypothèse », prĂ©cise Galen Halverson, coauteur de l’étude et professeur agrĂ©gĂ© au DĂ©partement des sciences de la Terre et des planètes Ă Â鶹AV. « Jusqu’ici, il n’était donc pas exclu que la “monotonie” de l’ocĂ©an au milieu du ProtĂ©rozoĂŻque en ce qui a trait Ă la production et Ă la sĂ©dimentation du carbone organique ait Ă©tĂ© attribuable Ă d’autres facteurs. » Les donnĂ©es du Pr Crockford « fournissent une preuve directe que c’est la faible productivitĂ© primaire qui est Ă l’origine de la pauvretĂ© du cycle du carbone ».
Indices sur des ±đłć´Ç±č±ô˛ą˛ÔèłŮ±đ˛ő
Cette découverte pourrait également aider les astronomes dans leur recherche de vie à l’extérieur de notre système solaire.
« Durant la majeure partie de son existence, la Terre a été peuplée de microbes, et on peut d’ores et déjà prévoir qu’ils seront les gardiens de la vie sur notre planète longtemps après l’extinction du genre humain », mentionne le Pr Crockford, maintenant chercheur postdoctoral à l’Université Princeton et à l’Institut scientifique Weizmann d’Israël. « L’étude des environnements façonnés par ces microbes nous permet non seulement de mieux comprendre notre passé et ce qui nous a menés ici, mais également d’obtenir des indices sur ce qu’on pourrait trouver par la découverte d’une exoplanète habitée. »
L’article « Triple oxygen isotope evidence for limited mid-Proterozoic primary production », par Peter W. Crockford et coll., a été publié en ligne dans la revue Nature le 18 juillet 2018.
DOIÂ : 10.1038/s41586-018-0349-y
Cette étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies et l’Université du Colorado à Boulder.