Une question de taille
Jusqu’à tout récemment, les scientifiques croyaient que les variations individuelles des caractères tels que la taille, la couleur de la peau, la tendance à gagner du poids, l’intelligence ou la vulnérabilité à certaines maladies – des caractères qui s’inscrivent le long d’un continuum –, résultaient de facteurs à la fois génétiques et environnementaux.
Ils ne pouvaient toutefois expliquer prĂ©cisĂ©ment la façon dont ces divers Ă©lĂ©ments sont interreliĂ©s. En Ă©tudiant des fourmis, des chercheurs de l’UniversitĂ© Â鶹AV ont dĂ©couvert un mĂ©canisme clĂ© grâce auquel les facteurs environnementaux (ou Ă©pigĂ©nĂ©tiques) influencent l’expression de tous ces caractères (et de nombreux autres).Ils croient qu’en identifiant un gène clĂ© pour chaque caractère et en dĂ©couvrant la façon dont il est modifiĂ© Ă©pigĂ©nĂ©tiquement (par l’environnement), il serait possible d’influer sur le degrĂ© d’expression de ce gène – et, par consĂ©quent, de moduler la façon dont ces caractères sont exprimĂ©s, un peu comme un peintre qui ajoute graduellement du blanc au noir pour obtenir diverses nuances de gris. Les chercheurs ont en fait dĂ©couvert le mĂ©canisme grâce auquel l’environnement interagit avec certains gènes, rĂ©vĂ©lant ainsi que les facteurs environnementaux jouent un rĂ´le tout aussi important dans la dĂ©termination de caractères complexes.
Une Ă©quipe de l’UniversitĂ© Â鶹AV dirigĂ©e par les professeurs Moshe Szyf et Ehab Abouheif, respectivement du DĂ©partement de pharmacologie et de thĂ©rapeutique et du DĂ©partement de biologie, a clairement identifiĂ© un mĂ©canisme grâce auquel les facteurs Ă©pigĂ©nĂ©tiques – la façon dont l’environnement influe sur l’expression d’un gène en particulier – exercent un effet global se traduisant par des variations quantitatives de ces caractères complexes.
Les chercheurs en sont arrivés à cette conclusion en réalisant des essais épigénétiques sur des fourmis du genre Camponotus floridanus (mieux connues sous le nom de fourmis charpentières de la Floride). Puisque les facteurs génétiques sont peu susceptibles d’influer sur la taille des fourmis ouvrières au sein d’une colonie (elles appartiennent à la même famille dans une proportion de 75 pour cent) et que leurs génomes ont déjà été séquencés, les chercheurs ont pu axer leurs travaux sur les effets des facteurs épigénétiques sur les variations de la taille.
Créer une fourmi godzillienne
En augmentant le degré de méthylation de l’ADN (un processus biochimique permettant de contrôler l’expression de certains gènes – à la manière d’un gradateur qui module l’intensité lumineuse d’un appareil d’éclairage) d’un gène intervenant dans la croissance et appelé R-EGF, ils ont créé des fourmis ouvrières de différentes tailles, et ce, en dépit de l’absence de différences génétiques entre les fourmis. Les chercheurs ont essentiellement découvert que plus le gène était méthylé, plus les fourmis étaient grandes.
« Fondamentalement, nous avons dĂ©couvert un genre d’effet en cascade. En modifiant le degrĂ© de mĂ©thylation d’un gène en particulier qui exerce un effet sur d’autres gènes – comme, dans ce cas, le R-EGF –, nous avons pu intervenir sur tous les autres gènes participant Ă la croissance cellulaire », explique Sebastian Alvarado, doctorant Ă Â鶹AV et coauteur principal de l’étude dont les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© publiĂ©s aujourd’hui dans la revue spĂ©cialisĂ©e Nature Communications. « Nous avons travaillĂ© avec des fourmis, mais c’était un peu comme si nous avions dĂ©couvert que nous pouvions crĂ©er des ĂŞtres humains plus petits ou plus grands. »
Trouver le bon gène sur lequel travailler
« Dans le cas de la croissance chez les fourmis, c’est le gène R-EGF qui s’est rĂ©vĂ©lĂ© dĂ©terminant », affirme Rajendhran Rajakumar, coauteur principal de l’article. « Toutefois, dans le cas d’autres caractères complexes, qu’ils interviennent dans la croissance de cellules cancĂ©reuses chez l’humain ou de cellules adipeuses chez le poulet, nous savons maintenant qu’une fois que nous avons dĂ©couvert, dans chaque cas, la position gĂ©nĂ©tique clĂ© touchĂ©e par des facteurs Ă©pigĂ©nĂ©tiques, nous pouvons influencer le degrĂ© d’expression du gène, ce qui peut mener Ă des rĂ©sultats ayant une portĂ©e très considĂ©rable. »Â
« Il s’agit d’une découverte qui modifie complètement notre compréhension de la façon dont les variations surviennent chez l’homme », affirme le professeur Abouheif. « De très nombreux caractères humains, qu’il s’agisse de l’intelligence, de la taille ou de la vulnérabilité à certaines maladies comme le cancer, s’inscrivent le long d’un continuum. Si, comme nous le croyons, ce mécanisme épigénétique s’applique à un gène clé dans chaque domaine, le changement est tellement important qu’il est difficile d’imaginer à l’heure actuelle comment il influencera la recherche dans tous les domaines, de la santé au développement cognitif, sans oublier l’agriculture. »
Ces travaux ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s conjointement par le DĂ©partement de pharmacologie et de thĂ©rapeutique (par le doctorant Sebastian Alvarado et le professeur Moshe Szyf) et le DĂ©partement de biologie (par le doctorant Rajendhran Rajakumar et le professeur Ehab Abouheif) de l’UniversitĂ© Â鶹AV.
Version intĂ©grale de l’article publiĂ© dans Nature Communications :Ěý
Pour communiquer directement avec les chercheurs :
ehab.abouheif [at] mcgill.ca (Ehab Abouheif) (entrevues en français et en anglais)
moshe.szyf [at] mcgill.ca (Moshe Szyf) (entrevues en anglais seulement)